Dans cadre de la campagne mondiale des « 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre » qui se tiennent chaque année du 25 novembre au 10 décembre votre média « LesAfricaines » s’est entretenu avec Anita Traoré, présidente-fondatrice de l’Association Chance et Protection Pour Toutes (ACPPT). Elle milite pour les droits des femmes et des filles, et se bat contre les mutilations sexuelles féminines. Elle informe, sensibilise et accompagne les victimes de violences pour leurs démarches administratives et sanitaires.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre « Association Chance et Protection Pour Toutes ? »
Je me suis très tôt investie dans le milieu associatif, en donnant de mon temps libre pour des causes qui me tenaient à cœur. J’ai ainsi été pendant plusieurs années membre de l’association des jeunes guinéens de France, responsable de plusieurs pôles au sein du comité d’organisation de l’élection de miss Guinée France. J’ai aussi représenté l’ACPPT en tant que vice-présidente au sein du réseau d’Excision Parlons-En durant deux années.
EPE est un réseau d’une dizaine d’associations militant en France en faveur de l’abandon des mutilations sexuelles féminines. Je suis par ailleurs vice-présidente de l’association des diasporas de Touraine. Toutes ces expériences enrichissantes ont forgé et continuent à renforcer ma volonté de m’investir davantage pour la cause des femmes.
J’ai créé l’Association Chance et Protection Pour Toutes en 2014. Motivée par ma condition de femme, par mon expérience personnelle en France, et aussi pour avoir subi plus jeune des attouchements sexuels, plusieurs tentatives de viol, le harcélement sexuel de l’un de mes oncles lorsque je résidais en région parisienne, excisée à l’âge de 8 ans en plein Conakry, j’avais besoin de parler aux autres et à moi-même. Je ressentais un grand besoin d’extérioriser mon énergie et certainement une sorte de colère. Aller à la rencontre des autres, et spécifiquement des femmes concernées par les mêmes problématiques que moi, constitue une sorte de thérapie, c’est même une très bonne thérapie.
Quelle est la mission principale de l’association ?
L’ACPPT a pour principal objet la défense des droits des femmes, des filles et des enfants. Nous accompagnons femmes, filles, et familles étrangères à Tours, en France, en particulier celles touchées par les MSF et les violences basées sur le genre en général, pour leurs démarches administratives, médicales et socio-professionnelles.
L’ACPPT organise de nombreuses actions de sensibilisation aux violences faites aux femmes, notamment les mutilations sexuelles féminines (MSF). Nous intervenons en milieu scolaire et universitaire, auprès d’associations, dans des centres de formation et d’hébergement, auprès de la protection maternelle et infantile (PMI), ou encore dans les quartiers de la ville et du département pour informer, sensibiliser et échanger avec les femmes et les filles concernées par les violences, ainsi que les professionnel·le·s amené·e·s à travailler avec elles.
Afin de sensibiliser le plus grand nombre, nous organisons chaque été une campagne d’affichage de prévention des MSF, ainsi qu’une conférence internationale avec le soutien de la mairie de Tours à l’occasion de la journée internationale du 6 février (journée de lutte pour l’abandon des MSF). Nous informons et sensibilisons ainsi chaque année plus de 1600 personnes à ces thématiques.
Selon vous, quelles sont les formes de violences les plus courantes que subissent les femmes et les filles dans notre société aujourd’hui, notamment en Guinée où vous intervenez ?
Les violences auxquelles nous faisons face de manière courante, sont les violences psychologiques, silencieuses, très peu méconnues et dénoncées, elles sont très mal prises en charge, en particulier dans nos pays africains. C’est bien connu dans nos sociétés africaines, la psychologie renvoie à une sorte d’imaginaire, on l’associe à la folie, à la bêtise, et à une problématique appartenant aux occidentaux. Or, les femmes et les filles sont victimes au quotidien de violences psychologiques dans nos familles, dans les entreprises, au marché, dans nos différentes relations.
Le viol est par ailleurs l’une des violences faites aux femmes et aux filles les plus répandues en Guinée. Des centaines de cas sont recensés chaque année, sans aucune mise en action concrète pour une réelle prise en charge médicale et juridique des victimes souvent mineures, mais aussi et surtout pour l’éradication de ce fléau.
Comment évaluez-vous l’impact de ces violences sur la vie des victimes ?
Les violences faites aux femmes ont un réel impact sur l’émancipation et l’évolution socio-professionnelle de celles qui les subissent. Elles constituent une grave atteinte à leur capacité dans tous les domaines. Et ça, certains hommes l’ont compris. Ces derniers exercent volontairement des violences sur des femmes pour de manières directes anéantir leurs ambitions et leurs désirs.
Quelles initiatives ou programmes votre association a-t-elle mis en place pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles en Guinée et en France ?
Dans l’objectif d’accentuer notre engagement à accompagner des personnes primo-arrivantes que nous assistons depuis de nombreuses années dans la formulation de leur demande de régularisation et pour leur insertion socioprofessionnelle dans la ville de Tours, nous avons élargi ces dernières années nos collaborations associatives afin d’accompagner davantage de femmes et de familles. Régulièrement interpellées sur des cas de violences en Guinée, nous avons créé en 2019 une antenne pour faire des ponts entre nos actions en France et en Guinée par la mise en place concrète de projets en faveur des droits des femmes et des filles. Nous avons ainsi depuis la création de celle-ci menée des campagnes d’information et de sensibilisation en milieu rural, fait des interventions sur la thématique des violences basées sur le genre en milieu scolaire et universitaire, pris en charge des dizaines de cas de viols sur mineures et des cas de violences conjugales.
Nous avons initié le projet protections menstruelles pour toute fin 2019 en collaboration avec des magasins à Tours et à Paris et avons organisé et tenu durant plusieurs semaines des stands d’emballages cadeau pour collecter des fonds au mois de novembre 2020 à l’occasion des 16 jours d’activisme. La même année, nous avons mis en place le projet « parce qu’elles le valent également » impliquant gratuitement dix femmes en situation de précarité pour leur offrir des soins de beauté et bien être en partenariat avec des instituts de beauté à Conakry. En collaboration avec des associations après plusieurs semaines de collecte de fonds, nous avons en 2021 fait bénéficier de dépistage du col de l’utérus une centaine de femmes incarcérées à Conakry et une distribution de protections hygiéniques réutilisables. Fin 2021, nous avons participé au projet « SEXposer » qui a donné naissance à une exposition photo. Ce projet avait pour objectif de soutenir des femmes issues de l’immigration à faire respecter leurs droits grâce à la méthodologie PhotoVoice. Une recherche-action participative et une méthode d’empouvoirement basée sur l’utilisation de la photographie comme outil de communication et de changement social.
Quelles actions concrètes sont prévues cette année dans le cadre de cette campagne ?
Cette année nous avons collaboré avec l’université de Tours pour des interventions sur la thématique des mutilations sexuelles féminines. Ce sont plus de 500 étudiant·e·s et enseignant·e·s que nous avons informé·e·s et sensibilisé·e·s à la pratique des mutilations sexuelles féminines.
Comment les citoyens peuvent-ils s’impliquer ou soutenir votre cause ?
J’invite toute personne désireuse de s’impliquer en faveur des droits des femmes à nous rejoindre. Ils et elles peuvent nous donner un coup de pouce pour des actions ponctuelles ou récurrentes. Il est également possible de nous aider financièrement en adhérent à notre association pour une cotisation annuelle de 20 euros ou par tout autre geste de solidarité via notre compte HelloAsso.
Vous venez de recevoir un « Prix », pouvez-vous nous en dire plus ?
Effectivement, le prix Kléopâtre dans la catégorie engagement pour les femmes m’a été décerné le jeudi 21 novembre dernier à la mairie de Tours par l’association Touraine Women devant plus de 350 personnes dont ma famille. Ce prix représente une magnifique victoire pour moi et pour mes collaboratrices. Il récompense plus de dix années de lutte contre les mutilations sexuelles féminines. C’est un encouragement inestimable qui nous motive davantage dans notre lutte pour la défense des droits des femmes et des filles.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux femmes et aux filles qui pourraient être victimes de violences ?
Il faut s’écouter et accepter de se faire aider. Cherchez de l’aide auprès d’une association, d’une personne de confiance, ou de toute autre personne susceptible de pouvoir vous guider. L’environnement violent a une certaine facilité de plonger les victimes dans une sorte de fatalité, comme si plus rien n’était possible. Nous avons toutes des capacités pour nous en sortir après des épisodes de violences. Rien n’est simple, mais tout est possible.
Quelles sont vos aspirations pour l’avenir en matière de protection et de droits des femmes ?
Les choses avancent lentement, j’ai parfois l’impression que la lutte stagne. Mais je connais aussi le travail formidable de la nouvelle génération de femmes qui ambitionnent de changer positivement notre société grâce à leurs savoirs, leurs expériences, leurs envies pour un monde sans violence à l’égard des femmes et des filles. Le chemin est épineux, il est certes long, mais tout ceci en vaut absolument la peine.
Quelles sont les prochaines initiatives ou actions à venir ?
Chaque année, nous marquons la Journée internationale de lutte contre les mutilations sexuelles féminines du 6 février par une journée de mobilisation. Lors de notre événement début 2024, nous avons accueilli à Tours un public de divers horizons : avocat.es, psychologues, activistes, pouvoirs publics, survivantes, artistes, et associations. À cette occasion, nous avons pu partager témoignages, connaissances et expertises sur cet enjeu de société majeur. Nous sommes en pleine organisation de l’édition de 2025, qui aura lieu en deux temps le samedi 15 février prochain sous le thème Libres et Entières dans la Ville de Tours, elle sera suivie d’un concert caritatif en collaboration avec la fondation du chanteur Soul Bang’s et de la chanteuse Manamba Kanté (SBMK) qui nous feront l’honneur de leur présence.
Le talentueux musicien Séfoudi Kouyaté sera également de la partie. Les fonds collectés seront reversés à la fondation Soul Bang’s et Manamba Kanté (SBMK) et à notre association. Le but de l’événement est de sensibiliser, éduquer, soutenir et mener un plaidoyer. Nous comptons sur la mobilisation de nos communautés, des professionnel·le·s, des pouvoirs publics et des personnes concernées par ces pratiques pour amplifier ensemble notre engagement pour la lutte en faveur de l’abandon des mutilations sexuelles féminines.
Propos recueillis par Maguette KEBE- Fondatrice « LesAfricaines«