Par Khadija Elmadmad
La communauté internationale célèbre le 08 mars la Journée internationale des femmes qui a été décrétée par les Nations Unies en 1977 afin de promouvoir les droits des femmes et réduire leur inégalité et vulnérabilité.
Une grande partie des femmes qui se déplacent volontairement ou involontairement loin de leurs résidences sont vulnérables doublement, en tant que femmes et en tant que personnes mobiles. A cause de Covid-19, certaines de ces femmes sont devenues triplement vulnérables et dans le besoin d’une triple protection.
Partout dans le monde, Covid a eu un grand impact dans tous les domaines et sur toutes les populations. Mais son impact sur les femmes a été plus important et plus particulièrement sur les femmes en mouvement : les immigrées, les émigrées, les réfugiés, les femmes à la recherche d’asile, les femmes déplacées à l’intérieur des frontières nationales, ainsi que celles qui s’étaient trouvées durant la pandémie bloquées loin de leurs résidences à cause de la restriction aux déplacements, la fermeture des frontières, l’interdiction des vols et d’autres limites à la liberté de circulation. Cette nouvelle catégorie de femmes déplacées à cause de Covid ou de « migrantes malgré elles », s’étaient déplacées volontairement mais elles se sont trouvées immobilisées involontairement. On pourrait les qualifier de « refugiées de Covid ».
Après l’instauration de l’état d’urgence dans plusieurs pays, une grande partie des droits ont été réduits ou tout simplement annulés : les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politique et surtout le droit à la liberté de circulation. En Afrique, comme par ailleurs, des personnes en mouvement, notamment les femmes, ont souffert de réductions et de violations de droits. C’est le cas au Maroc de femmes immigrées, de femmes marocaines résidant au Maroc ou à l’étranger et d’étrangères en visite au Maroc coincées au Maroc ainsi que de femmes marocaines et étrangères résidant au Maroc et bloquées en dehors des frontières nationales.
Cette intervention exposera les différentes catégories de femmes en déplacement durant Covid, tout d’abord. Elle analysera ensuite l’impact de la pandémie sur leur condition et sur leurs droits et informera sur la manière dont elles ont fait face à la situation. Elle essayera enfin de tirer les enseignements de cette crise sanitaire et réfléchir aux moyens et modalités qui pourraient assurer une meilleure protection à ces femmes et une garantie plus effective de leurs droits dans l’avenir.
Les femmes en déplacement : plusieurs catégories et diverses statuts juridiques
Les femmes se déplacent volontairement et involontairement à l’intérieur et à l’extérieur des frontières nationales, de manière régulière et irrégulière. Le statut juridique des femmes en déplacement dépend du type de leur déplacement et de la manière dont il se fait. A chaque type de déplacement s’applique un droit spécifique interne et international qui précise le statut juridique des différentes catégories des femmes en déplacement. Les quatre grandes branches de droit applicables spécifiquement sont : le droit des étrangers, le droit de la migration, le droit des réfugiés et le droit des personnes déplacées à l’intérieur des frontières nationales. S’ajoute à ces quatre branches le droit des droits de l’homme qui s’applique dans toutes les situations et circonstances et le droit international humanitaire (DIH) applicable durant les conflits armés.
Le droit des étrangers concerne globalement la situation juridique des personnes dans un État dont elles ne sont pas ressortissantes, c’est-à-dire dont elles n’ont pas la nationalité. Le droit de la migration est applicable à tous les migrants (immigrés et immigrés), c’est-à-dire à des personnes qui ont quitté leur pays d’origine pour élire domicile dans un pays étranger pour un ensemble de raisons. Le droit des réfugiés s’adresse aux migrants qui ont été forcés de fuir leur pays d’origine et de chercher asile dans un autre pays pour des raisons bien définies par ce droit (principalement une persécution basée sur la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social). Le droit des personnes déplacées à intérieur de leur pays (IDP, en Anglais) concerne les personnes forcées à se déplacer à cause de catastrophes naturelles, de guerres ou de violences et qui n’ont pas franchi les frontières du pays d’origine.
Différentes conventions, déclarations et recommandations internationales (universelles et régionales) ainsi que des lois et des réglementations nationales régissent les mouvements des populations et fixent les statuts juridiques des personnes en déplacement.
Pendant la crise de Covid, le Maroc a été concerné par toutes les catégories de femmes en déplacement: des immigrées dans le pays de manière régulière et irrégulière (issues pour la plupart de l’Afrique subsaharienne), des femmes ayant le statut de réfugiées, des femmes encore à la recherche d’asile et de protection, des femmes étrangères en visite au Maroc boquées dans le pays et dans l’impossibilité de regagner leurs domiciles habituels à l’étranger, des femmes marocaines résidant à l’étranger de passage dans le pays d’origine et incapables de retourner à l’étranger et aussi des citoyennes marocaines et des femmes étrangères résidant au Maroc coincées dans d’autres régions et villes marocaines à la suite de la déclaration de l’état d’urgence, le confinement, la restriction des déplacement et la fermeture des hôtels et des maisons d’hôtes.
S’ajoutaient à toutes ces femmes déplacées à l’intérieur du Maroc, des citoyennes marocaines et des femmes étrangères résidant régulièrement au Maroc qui sont parties à l’étranger pour des période courtes, pour différentes raisons (familiale, de travail, de santé ou autres) et qui étaient bloquées là où elles se trouvaient à la suite de la fermeture des frontières et l’annulation des transports internationaux ; c’est-à-dire, des citoyennes marocaines et des étrangères résidant au Maroc qui se sont déplacées volontairement mais qui ont été immobilisées involontairement à l’étranger.
Plusieurs témoignages et de multiples attestations et déclarations émanant de femmes déplacées durant covid illustrent la grande détresse de ces femmes et les problèmes de droit rencontrés.
Les conditions désastreuses des femmes déplacées durant Covid et les dénis de leurs droits
Lorsque la pandémie de COVID-19 s’est répandue au Maroc, le pays a mis en œuvre diverses mesures pour limiter la propagation du virus, telles que la fermeture des frontières, l’interdiction des déplacements internes et le confinement. Ces restrictions de la mobilité, ainsi que les problèmes socio-économiques de la crise COVID-19, ont considérablement impacté les femmes en déplacement dans le pays et en dehors des frontières nationales. En un sens, COVID-19 a multiplié les violations des droits de ces femmes dont beaucoup s’étaient retrouvées bloquées dans des situations précaires.
Les premières réactions des Responsables marocains pour se protéger de la pandémie s’étaient focalisées sur les citoyen(e)s marocain(e)s résidant à l’intérieur du pays et n’ont pas pris en considération les immigrés vivant au Maroc, les étrangers visitant le pays, les membres de la diaspora présents dans le pays et les Marocains et les étrangers résidant au Maroc en déplacement à l’étranger. De plus, au début de la pandémie, les associations, les membres de la société civile et même les missions diplomatiques et les organismes internationaux étaient injoignables et les personnes en détresse sont restées livrées à elles même. Mais par la suite, une certaine assistance et protection ont été accordées à la plupart des personnes se trouvant en difficulté, par les autorités marocaines, les organismes en charge des réfugiés et des migrants ainsi que par des associations de migrants et de droits humains.
Il faudrait noter que les premiers secours aux femmes en déplacement immobilisées par Covid au Maroc ont été fournis surtout par la population marocaine et par des personnes religieuses. Une femme sénégalaise en situation irrégulière vivant à Rabat a déclaré à ce sujet : « …sans l’aide de mes voisins marocains qui m’apportent la nourriture, je serai morte de faim. Je n’ai pas l’autorisation administrative des autorités locales pour me déplacer en dehors de chez moi, je n’ai plus de travail et je ne peux pas payer mon loyer ou acheter la nourriture ».
Une femme Ivorienne immigrée au Maroc depuis plusieurs années qui avait perdu son travail informel de femmes de ménage et ne pouvait plus payer son loyer s’est retrouvée dans la rue avec son enfant en bas âge. Elle a été relogée grâce à la générosité d’un bienfaiteur marocain. Une femme congolaise s’est réfugiée dans une église et comptait sur la charité de cette église pour surmonter ses difficultés matérielles.
Au Sud du Maroc, une jeune touriste française était obligée de quitter l’hôtel où elle passait ses vacances et qui a été fermé à cause de Covid. Elle ne pouvait pas retourner en France à cause de l’annulation des vols et a survécu jusqu’à la repise des vols internationaux grâce à l’hospitalité de ses amis marocains. Pour survivre, une femme du Siéra Leone, sans documents, dépendait de l’aide de ses deux amies subsahariennes ayant le statut de réfugiés et bénéficiant de l’assistance du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés.
Des Marocaines résidant à l’étranger et des étrangères résidant au Maroc ont également été immobilisés par Covid à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Plusieurs parmi elles se sont déplacées au Maroc pour de périodes courtes pour le travail, le tourisme ou pour rendre visite à la famille ou des amies et se sont trouvées bloquées là où elles se trouvaient. Ne pouvant pas retourner à leur travail physiquement, certaines parmi elles travaillaient à distance, mais plusieurs parmi celles qui ne pouvaient pas travailler à distance avaient perdu leur travail.
Certaines femmes immobilisées à l’étranger ont été séparées de leur famille pendant longtemps. C’est le cas de cette femme russe qui est partie assister aux funérailles de sa mère en Russie, laissant dernière elle à Casablanca son mari et ses deux jeunes enfants. Elle devait y rester dix jours, elle a été bloquée pendant presque trois mois. C’est aussi le cas de cette femme marocaine qui est allée comme touriste aux USA pour la première fois dans un voyage organisé de quinze jours et qui ne pouvait revenir au Maroc qu’après plus de deux mois d’immobilisme forcé. Son témoignage dans les réseaux sociaux était accablant et décrivait son errance, son manque de moyens pour survivre aux USA et ses problèmes de communication en Anglais, une langue qu’elle ne parle pas. Une autre femme marocaine qui a été immobilisée en Belgique a rendu un grand hommage à une famille marocaine résidant à Bruxelles qui l’a hébergée et assistée durant tout le temps de sa migration involontaire.
Certaines femmes en déplacement à l’intérieur ou à l’extérieur du Maroc ont été exposées à des violences physiques et sexuelles, à l’exploitation et à la traite humaine et des travailleuses domestiques ont été victimes des abus de leur employeur. Il leur était souvent impossible de se plaindre ou d’attaquer leurs bourreaux en justice.
En plus de leur immobilisme involontaire, des femmes en déplacement souffraient du manque de moyens pour se prémunir contre la pandémie. Une femme immigrée a déclaré à ce sujet : « En plus de tous les problèmes que nous rencontrons en tant que femmes immigrées sans documents et avec des enfants, à cause de la COVID-19, nous devons maintenant payer pour de nouveaux produits de base comme les masques faciaux et plus de savon pour se laver les mains ».
La crise de Covid-19 est une page noire dans l’histoire humaine, pour tous mais spécialement pour les femmes et plus particulièrement pour les femmes mobiles, qu’elle a immobilisées. Cette crise pourrait constituer, cependant, une nouvelle page pour les femmes généralement et pour les femmes en mouvement plus spécialement et un nouveau départ pour une meilleure protection de leurs droits pendant les crises à venir, au Maroc, en Afrique et partout ailleurs.
Pour une meilleure protection des femmes en déplacement dans l’avenir
Les enseignements de la pandémie ont montré qu’il faudrait prévoir les crises humaines à l’avance et bien se préparer pour les surmonter, surtout en ce qui concerne les femmes. La leçon à tirer, c’est qu’il faudrait tout d’abord revisiter et revoir le droit de la migration existant, élargir sa portée et combler ses lacunes et limites. A présent, ce droit est applicable aux migrants seulement et pas à tous les migrants. Il exclue de sa protection les migrants en situation irrégulière, qui représentent une grande partie des migrants actuellement et qui sont devenus « les nouveaux damnés de la terre ». Une grande partie parmi ces migrants considérés comme irréguliers sont des femmes et ne bénéficient d’aucune protection. Le droit de la migration et des migrants actuel ne s’applique pas non plus à toutes les personnes en déplacement. C’est le cas notamment de la nouvelle catégorie des migrants involontaires, « les réfugiés de Covid » illustrée dans cette intervention par les femmes qui se sont déplacées volontairement mais qui ont été immobilisées involontairement à cause de la pandémie de Covid-19.
Pour une meilleure protection des personnes en déplacement il faudrait passer du droit actuel de la migration à un droit de la mobilité ou des mobilités. Ce nouveau droit s’appliquerait à toutes les personnes en mouvement et spécialement aux femmes qui représentent la grande partie de ces mouvements et qui sont dans le besoin de plus de protection. Certains développements dans ce sens ont déjà eu lieu au niveau international avec la promulgation du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, dit Pacte de Marrakech. Ce Pacte a comme objectif principal d’assurer une meilleure protection de tous les migrants.
Des développements similaires ont eu lieu niveau du Maroc aussi qui été l’un des rares pays à avoir adopté une nouvelle politique marocaine d’immigration et d’asile depuis 2013, plus humanitaire et plus solidaire envers les migrants. Cette politique a inclus la régularisation de 50.000 immigrés en situation irrégulière en 2014 et en 2016. Cette régularisation a surtout concerné toutes les femmes immigrées au Maroc qui ont fait la demande de régularisation, sans exclusion ni discrimination. La majorité des femmes régularisées au Maroc sont issues de l’Afrique subsaharienne.
Un autre enseignement de Covid, c’est qu’elle a, en quelque sorte, démocratisé la migration et a introduit une certaine justice dans les déplacements, du moins, au début de la crise sanitaire. Elle a montré que n’importe quelle personne, quel que soit son origine, son statut pourrait être touchée par la crise et pourrait être immobilisée et devenir migrante involontaire. Les citoyens des pays occidentaux habitués à être privilégiés lors de leurs déplacements dans les pays du Sud et à circuler librement ont aussi connu les restrictions de déplacement à cause de Covid et étaient aussi dans le besoin de protection et d’assistance. Plusieurs parmi les étrangers qui étaient bloqués au Sud durant Covid et ont été assistés par des locaux.
Espérons que l’immobilisme général forcé durant Covid pourrait amener plus de justice dans les mobilités humaines, surtout pour les plus vulnérables parmi les personnes en déplacement : les femmes, les enfants et les personnes âgées et handicapées. Malheureusement, la crise actuelle des déplacements humains à partir de l’Ukraine depuis la fin de février 2022, ne semble pas aller dans ce sens, d’après les informations disponibles.
Covid a démontré aussi que les pratiques inégalitaires et discriminatoires et même sexistes parfois des pays du Nord envers les migrations et les mouvements de populations issus du Sud devraient cesser et que les relations Nord/Sud devraient devenir plus équitable.
Covid a enfin rappelé que les traditions hospitalières et humanitaires restent présentes, en pratique, dans nos sociétés et que le secours à autrui reste un devoir moral universel, malgré le modernisme de nos sociétés et de nos lois et réglementations.
A propos de Khadija ELMADMAD
Khadija ELMADMAD est Marocaine. Elle est Professeure de Droit, Avocate, Consultante internationale, Directrice du Centre UNESCO « Droits et Migrations » (CUDM), Vice-Présidente de la Clinique Juridique de la Faculté de Droit de Casablanca et Coordinatrice de sa Section sur le droit de la migration et Médiatrice pour la Paix à l’Union Africaine, au sein de son Réseau des femmes médiatrices pour la paix « FemWise-Africa ».
Elle était auparavant Titulaire de la Chaire UNESCO « Migration et Droits Humains » de l’Université Hassan II Casablanca-Ain Chock, Présidente du Réseau UNESCO-UNITWIN sur la Migration Forcée, Responsable du Doctorat spécialisé sur le Droit de la Migration de la Faculté de Droit de Casablanca, Vise-Présidente de l’Association Internationale des Etudes sur les Migrations Forcées (IASFM) de l’Université d’Oxford en Angleterre, entre autres.