mercredi, avril 30, 2025

Fatou Diome, écrivaine franco-sénégalaise : « on peut être sensible à la douleur des anciens. mais il ne faut pas se l’approprier »

Femme auteur d’une franchise déconcertante, Fatou Diome se confie sur les raisons qui la poussent à écrire. De La Préférence nationale (2001) à De quoi aimer vivre (2021), l’écrivaine franco-sénégalaise mène sa quête pour donner un sens à sa vie et défend ses idéologies.

Fréquence ESJ : Fatou Diome, écrire un livre, c’est donner beaucoup de soi. Pourquoi et pour qui écrivez-vous ?

Fatou Diome : Je pense qu’un écrivain écrit pour toutes les personnes qui veulent bien se donner la peine de le lire. C’est d’abord un plaisir pour soi-même, de créer, d’écrire pour analyser et pour comprendre des choses.

Envie de progrès et d’optimisme. Qu’est-ce qui vous anime en tant que femme ?

Je dis toujours, on écrit pas en tant qu’homme ou femme. On n’écrit comme une conscience, un éveil, peu importe le genre. C’est une sensibilité humaine. Écrire, c’est une manière d’être au monde. Pour moi, c’est un mode de vie, ce n’est pas seulement un métier. Je n’ai jamais imaginé qu’il serait mon métier. C’est ma manière de passer le temps. Et c’est la chose que je faisais à côté pour me sentir bien. C’était une nécessité intérieure de m’installer, de prendre un cahier et commencer à écrire des réflexions.

Maintenant, peut-être que j’ai des préoccupations de femme, de citoyenne, mais avant tout, il y a le besoin d’écrire pour essayer de démêler les choses ou poser des questions.

Vous vous posez plusieurs questions notamment sur la situation de la plupart des Africains…

Quand on a insisté sur un point, on le remarque quand le livre est fini. On peut comparer des chapitres. Parfois, je suis surprise à quel point j’écris avec une sincérité intérieure.

Le problème, c’est que quand je parle de l’Afrique, on le remarque plus car je suis d’origine africaine. Dans Inassouvies, nos vies (2008), je parle de la situation dans les maisons de retraites en France. Je me suis posée la question sur la vie de nos aînées. Donc là, je parlais des Européens. Ça, on ne l’a pas souligné ! Mais si je parle de la polygamie, on va en parler tout de suite (rires)… Je n’ai pas de thème fixe, je mélange tous ses regards. C’est aussi une question de sensibilité.

L’histoire a contribué au clivage social blancs-noirs. Vous défendez la nécessité pour les Africains de s’affranchir de leur statut de victime et pour les Européens de sortir d’une position de dominant… Vos écrits ont-ils eu un écho favorable ?

Je ne sais pas. Il y en a qui le prenne mal ! Il y a des personnes qui pensent que je suis là pour nier la douleur du passé. Je ne peux pas souffrir pour les coups de « chicotte » que je n’ai pas reçus. Par contre, je peux les comprendre.

Quand on a étudié l’histoire, on peut être sensible à la douleur des anciens. Mais il ne faut pas se l’approprier. Ce n’est pas notre époque. On a eu la chance de ne pas subir tout cela. Et je trouve qu’on doit utiliser notre liberté pour bâtir autre chose, pour pouvoir avancer. Pour cela, il y a deux complexes coloniaux. Pour les Européens, c’est un complexe de supériorité et pour les Africains, c’est un complexe d’infériorité. C’est de ces deux statuts-là que je voudrais que l’on sorte enfin pour pouvoir se regarder comme des êtres libres, capables de dialoguer, de discuter intelligemment de l’histoire.

Les personnes qui faisaient tout cela, elles sont toutes mortes. On ne peut pas les juger. On ne peut pas condamner quelqu’un pour les fautes de son père. On est obligés d’avancer avec notre histoire. Je ne dis pas qu’il faut renoncer à la mémoire mais il faut en finir. Il ne faut pas que l’histoire se reproduise. Il faut savoir avancer dans la vie.

Il est des blessures que la justice ne peut réparer. Quelles sont ses blessures qu’on vous a infligées ?

Ce n’est pas intéressant d’en parler. Ce qui m’intéresse, c’est ce que j’en ai fait. Quand les autres vous piétinent, la meilleure manière de résister c’est de montrer que vous n’êtes pas un moins-que-rien, que vous êtes capable de vous battre. On ne demande pas aux autres de nous respecter. Le respect s’impose. Si j’étais enfermée dans cette idée-là, je n’aurais rien fait de ma vie.

Qu’est-ce que cela a apporté à la personne que vous êtes aujourd’hui ?

Justement, j’ai eu la fierté de réagir et de montrer à ceux qui me méprisent que j’ai l’obligation de me respecter. C’est ce que j’essaie de partager quand je parle du statut de victime par rapport aux jeunes africains. Je partage maintenant avec eux cet état d’esprit qui m’a aidée à progresser dans la vie.

La compassion n’a jamais aidé quelqu’un à sortir de ses problèmes. En revanche, celui qui vous dira de garder le courage et d’essayer, est celui qui vous respecte et qui vous aime vraiment.

Fréquence ESJ : On vous a donné le surnom de Cunégonde. Comment l’avez-vous pris ?

Fatou Diome : Je ne l’ai pas pris (rires). C’est quelque chose lancé dans l’air ! Cela concerne la bêtise de celui qui l’a dit. Je ne m’identifie pas à cela.

Si vous êtes libre dans votre tête, vous êtes complètement ailleurs. Tout le monde est libre de vous mépriser, mais vous n’êtes pas obligé de vous reconnaître. La force et le combat, c’est cela.

Considérez-vous comme un porte-voix de la femme africaine ?

Je ne porte que ma voix. Je ne suis pas élue. Je ne suis pas représentante de quoi que ce soit. Je défends sincèrement tout ce que j’écris dans mes livres. Ce sont des combats que je défends de tout mon cœur.

Si les femmes africaines pensent que grâce à moi, certains de leurs combats peuvent être entendus, j’en suis honorée. Je serai ravie de servir à quelque chose… De manière générale, c’est la dignité des femmes où qu’elles soient et leur liberté qui m’intéressent.

Sur une note personnelle : êtes-vous une femme épanouie ?

(Rires) Cette question, on y répond à l’amour. En tout cas, tous les jours, je fais tout ce que je peux pour l’être. J’ai appris à me satisfaire de ce que j’ai. C’est un état d’esprit que j’ai. C’est une quête permanente. C’est aussi assumer sa vie.

Comme le dirait mon grand-père, il y a des jours ensoleillés et des jours gris. On est tous logés à la même enseigne qu’on le veuille ou pas. On subira des intempéries et qu’on le veuille ou pas, on rêvera tous de soleil.

Et l’amour dans tout ça. Quelle place a-t-il dans votre vie ?

(Rires) Je ne répondrai pas ! C’est une question qu’on pose souvent aux femmes et jamais aux hommes artistes. Je prends un malin plaisir à ne pas répondre à cette question. Je suis un mystère. Je suis toujours amoureuse de la vie. Je révèle toujours des petites choses à travers mes livres. C’est comme cela que j’arrive à me dévoiler. Ce sont les raisons pour lesquelles j’écris…

Propos recueillis par Rachelle Veerasamy

Photo: Astrid di Crollalanza

Source :  frequenceesj.com

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